dimanche 24 mai 2009

90210 et les joies de la sémiologie.


Si je me mure dans mon silence depuis deux semaines, c’est que je planche pour un cours sur un truc passablement long et ennuyeux : l’analyse sémiologique d’un magnifique extrait de la série 90210, le spin-off de notre Beverly Hills tant aimé des années 90.

Et, alors que je rédigeais en pleine nuit ma présentation de l’extrait, je me suis demandée si ma plume sarcastique de 3h48 du matin était suffisamment « college friendly ». Et puis je me suis dit que s’il n’y avait pas eu de remaniement ministériel depuis les législatives de 2007 avec le nombre de ministres jugés ici et là comme étant « en difficulté », je pouvais bien moi aussi prendre quelques risques et ne pas remanier ma prose très personnelle sur les minutes 28 à 35 d’un épisode de 90210. Ca passera ou ca cassera, mais j’ai tout de même un storyboard de 25 pages pour me rattraper derrière.

« 90210 est une série dramatique pour adolescents américaine typique, ne se montrant originale ni par le fond ni par la forme. Elle apparaît donc comme un terrain de choix pour observer et étudier les codes classiques du genre. Une observation qui justifie aussi le choix de cette séquence : longue de quatre minutes quarante, elle recouvre un large éventail de situations, de la scène d’action à la longue minute d’émotion.
En effet, dans ce dix-huitième épisode de la série, l’un des personnages principaux, Silver, adolescente "perturbée" (qui se révèlera finalement être bipolaire), s’est enfuie après une violente altercation avec l’un de ses professeurs, qu’elle accuse d’être à l’origine de sa rupture avec son petit ami, Dixon. Celui-ci, passablement irrité par l’attitude pour le moins irrationnelle de sa bien aimée au cours des derniers épisodes, démontre tout au long de l’épisode une certaine nonchalance, alors que sa famille – notamment ses parents, Harry et Debbie – parcourt la ville à la recherche de Silver, de même que la sœur de celle-ci, Kelly.
L’extrait étudié, point d’orgue de cette intrigue, présente le moment où une Silver visiblement déroutée tente de prendre un train pour le Kansas (d’où Dixon est originaire) et se fait rattraper par Harry, Debbie et Dixon. Loin de se calmer, elle s’élance alors au devant d’un train, engendrant une coupure publicitaire pleine de tension. Mais après le suspens viendra l’émotion, avec un long monologue de son petit-ami, tentant de la rassurer et de la ramener à la raison, et ses retrouvailles larmoyantes avec sa sœur. ».

Il faut tout de même que j’explique ici que non, étudier un extrait aussi pitoyable n’est pas un suicide scolaire. En cours, on a oscillé entre du Hélène et les Garçons et des Feux de l’amour. J’imagine donc que Beverly Hills nouvelle génération est le Saint-Graal de l’analyse sémiologique "cinématographique".

Mon amour pour le partage de la connaissance sémiologique, une matière qui m’insupporte au plus haut point puisqu’elle consiste en la quête perpétuelle d’une signification à tout ce qui nous entoure, me pousse à vous montrer cet extrait et à vous donner un petit aperçu de cette science. Un aperçu teinté de ma haine, de mon désespoir, et d’un profond déballage de ma vie trépidante et de mes troubles psychiatriques.


Je disais donc que la sémiologie, c’était chercher du sens partout. Des codes tout bêtes, tels que « Elle tient une rose rouge ? Oh mais attends c’est le symbole de la passion dévorante qui anime son âme. », mais aussi des trucs tordus, tels que « les toilettes d’Ally McBeal sont un lieu d’importance capitale où ils peuvent se détacher du travail et échanger sur leur vie personnelle dans un cadre débridé ». Avant d’avoir le cours où j’ai appris cela, j’avais quand même vu 5 saisons d’Ally McBeal sans broncher. Mais je ne suis peut-être pas très futée. Revenons-en donc à notre business. Ici, il me fallait analyser ce passage. Et l’on touche au fond du problème, au cœur de l’angoisse profonde qui m’empêche de me livrer à une étude sémiologique sous peine de perdre la raison : jusqu’où chercher du sens ? A force d’essayer de trouver les codes, les symboles, on finit certainement par en inventer. C’est ce que je me dis alors que j’ai tapé il y quelques heures de cela que le couloir de la gare devait être un lieu d’une importance capitale, puisqu’il était le décor le plus éclairé de toute cette séquence qui est si sombre, rapport à l’esprit torturé de Silver, et puis en plus de toute manière cette scène n’aurait pas aussi bien rendue en pleine journée, moins de tension dramatique et en fait pourquoi ne pas l’avoir fait traverser un couloir miteux sombre, froid, et tout moche, ça ça aurait renforcé le dramatique, mais oui le couloir il symbolise un truc c’est forcé, mais il symbolise quoi ce satané couloir ? Ceci étant une retranscription sans filtre et sans considération de ponctuation des pensées de mon esprit torturé. Je vous l’ai dit, tant de tergiversions autour d’un rayon de lumière, ça me rend folle. Du coup, ma seule hypothèse sur le couloir reste que son éclairage anticipe sa qualité de lieu de résolution de l’intrigue, puisque c’est là que Silver retrouve sa sœur et peut enfin s’en aller en sécurité et en toute sérénité. Mais bon.

J’ai aussi remarqué un truc qui m’a rendue perplexe, puis hystérique, puis énervée, et m’a finalement amenée à reconsidérer toute ma vision de la vie (d’une caméra de tournage de série pour ado américaine) : le cadrage n’est pas fixe. La caméra bouge de quelques millimètres, et comme j’ai découvert ce cruel sort de la vie au milieu du storyboard, j’ai bien sûr du me retaper tout le début de la séquence en plan par plan, le regard rivé sur le décor, essayant de capter au vol un éventuel sursaut de 0,02mm du caméraman. Je vais ici citer Amandine, qui en personne toute pragmatique qu’elle est, m’a rétorquée alors que je lui expliquais mon malheur : « mais on s’en fiche » (que ça bouge de quelques millimètres, ndlr). C’est vrai qu’on s’en fiche. Ca n’est même pas perceptible à l’œil nu. Mais on ne s'en fichait pas vraiment en vrai? Si ça avait un sens hein ? Si c’était même capital dans l’histoire ? Si en le mettant de côté j’omettais d’appréhender toute la poésie de 90210 ? La sémiologie est une science profondément déroutante. La même Amandine, qui finit par s’abandonner elle aussi à la folie, évoque un désir de réalisme chez les réalisateurs. J’écris un paragraphe de 15 lignes sur la question. Syndrome Blair Witch, soutien de la tension, petit effet dynamitant, introduction du spectateur dans l’action, soucis de réalisme, cadreur manchot, déficit budgétaire tel qu’il a engendré une pénurie de pied de caméra ? On peut tout et rien dire de ce phénomène. Et rien n'en serait que mieux.

D’ailleurs, je vais moi aussi me taire. Je dois retourner étudier pourquoi, à la 547e seconde, Silver lève l’annulaire droit vers la gauche et pas vers la droite. Mais avant, pour te récompenser, courageux lecteur qui a tenu jusque là, je vais te révéler l’une des armes de la sémiologie : la compartimentation. Pour analyser le son, isoles le son. Pour analyser l’image, isoles l’image. Et là, hypnotisé par les mimiques clichées de l’acteur, tu peux transformer n’importe quelle série en parodie kitch des feux de l’amour.

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