samedi 2 mai 2009

De la communication poétique et addictive : Big Nothing.


The Big Nothing, c'est un site absolument fou. J'écris un message, il est envoyé, et je reçois en échange les quelques mots d'un inconnu, sans aucun rapport avec les miens. Le tout accompagné d'un fond d'écran coloré et changeant, presque hypnotique (messages subliminaux? voilà qui expliquerait le temps que j'ai passé à envoyer des phrases dans le vide).

L'expérience artistique de Manuel Schapira, Chanel Seguin, et de l'agence Upian, part d'une belle idée :

« J'envoie un message à un inconnu.
En échange, je reçois un message d'un autre inconnu.
Chaque message est envoyé à un seul lecteur.
Éphémère, il s'efface au moment de sa lecture.
Aucune trace n'est conservée, tout est anonyme.
»
Une idée qui répond elle-même à des interrogations éminemment philosophiques : « Qu'est-ce que j'écris quand je m’adresse à un inconnu, sans but aucun, hors de tout contexte habituel et seul face à moi-même ? Qu’est-ce que je donne quand cela ne dépend pas de ce que je reçois ? ».

C'est une bonne question. Et, personnellement, j'ai commencé timidement :


Je me rends cependant vite compte que les autres ne font pas mieux, puisque l'on me "répond" des banalités, dont certaines dans un langage un tantinet racailleux : « ca va? », « weshhhhhhhhh », « bonjour », « sfjfjfhjfh », « j'aime paris », « sa tue se truc » (à mon sens, les confusions entre "s" et "c" sont le fléau de la décennie). Après un petit moment, un message empreint d'originalité me parvient enfin : « I hate myself I want to die ». Mon sang ne fait qu'un tour, puis reprend son train-train quotidien (c'est à dire conforme aux recommandations médicales en vigueur) en se disant qu'il doit s'agir d'une référence à Nirvana. Malgré tout, je réponds au suicidaire. Il ne recevra sûrement jamais ce message, mais j'ai meilleure conscience. Et je me dédouane d'un éventuel recours en justice pour "non assistance à personne en danger". En retour, je me fais agresser :


De quoi faire passer l'envie d'être serviable et pleine d'amour dans ce monde de brutes dans lequel nous vivons (demandez à Ségolène, tout ce qu'elle veut c'est de la fraternité, tout ce qu'elle a en retour c'est un Lefebvre qui veut la faire interner). Un peu plus tard, je serai tout de même réconfortée par quelques pointes de poésie, entre autres « do you want to fall in love? », « c'est joli le fond du site ! » (oui je considère ceci comme de la poésie), ou encore « Il suffit d'une seconde... ». Je reçois aussi quelques uns de mes propres envois. Le stock d'inconnus est sans doute épuisé.

Evidemment, en citant tous ces exemples, je suis en train de détruire une partie de la beauté du site, qui insiste sur l'éphémère de ces messages (ce qui est écrit sur Big Nothing reste sur Big Nothing?). Je vais donc m'arrêter pour revenir aux questions originelles. Qu'écrit-on lorsque l'on se détache du destinataire? Des "ca va?" et "bonjour", des insultes et de courtes phrases poétiques, apparement. Mais est-on réellement détaché du destinataire? Je ne pense pas. Il est clairement là dans les "ca va?", il est ironiquement là dans les insultes, il est aussi là dans les élans poétiques. Parce qu'en écrivant, on sait qu'il y aura un lecteur à l'autre bout. Même sans jamais connaître son identité, sa réaction, ou sa réponse, on communique suffisamment depuis notre petite enfance pour en avoir une idée. On imagine bien la tête de celui qui reçoit l'insulte, le choc de celui qui lit "je veux mourir", le rire de celui à qui l'on envoie une blague. Le coup de la communication dédouanée de destinataire, en ce qui me concerne, je n'y crois pas. Le coup du face à moi-même, encore moins.

Finalement, là où le site est le plus fort, c'est dans ce flot croisé de conversations qui s'instaure : je reçois un message, j'y réponds, celui qui recevra ma réponse répondra à son tour à quelqu'un d'autre, qui lui aussi répondra, alors que moi-même, je suis déjà repartie dans une autre conversation. Aucun fil, aucun schéma, c'est l'anarchie. Et c'est bien marrant.

Sinon, on peut aussi se servir de Big Nothing comme d'un outil de promotion original :


2 commentaires:

Teten a dit…

Mmmmh, pas mal, on se pose des questions philosophiques après ça.
Enfin vu que la communication est de base quelque chose de social, je voyais mal comment il aurait été possible de communiquer pour personne. Et il parait même qu'on ne puisse pas, ne pas communiquer. On est voué à envoyer des signaux au monde en permanence.
Sauf peut-être quand on est schizophrène et qu'on peut discuter avec ses personnalités.

Quoiqu'il en soit, je vais essayer ce BigNothing.

Teten a dit…

Bon c'est effectivement un big nothing, mais fallait y penser et on se prend bien au jeu pendant 5 min.