mardi 10 mars 2009

Faire du CD un objet collector, ou comment sauver l’industrie du disque.

En ces temps de débat sur la loi Hadopi visant à réglementer le téléchargement sur Internet, avec le fameux principe de riposte graduée, j’ai décidé d’exposer aux majors ma petite théorie sur la question (car il est évident que Pascal Nègre est un lecteur régulier de ce blog).

Déjà, il faut savoir que je suis une grande téléchargeuse, et ce depuis bien longtemps. A l’époque, la toile était parsemée de sublimes sites avec des noms comme « Roswell Music » ou « Buffy Music », qui proposaient la liste des chansons entendues dans chaque épisode. Il suffisait alors de cliquer sur un titre pour que la chanson ne se charge dans son Windows Media Player perso, et, là, un simple petit « enregistrer sous » dans le menu du logiciel, et le crime était commis. A l’époque, il n’y avait pas de débat, pas de question, le phénomène en était à ses débuts et n’engendrait pas encore les foudres des maisons de disques. C’était en plus vraiment pratique : plus besoin de faire quinze disquaires pour trouver l’album d’un petit groupe indé américain dans le Val-de-Marne, ni même d’acheter ledit album en entier juste pour pouvoir profiter d’une chanson.

Alors que le téléchargement est de plus en plus décrié, ces sites disparaissent et je migre vers le peer-to-peer, avec Kazaa puis Emule. Je suis gentille, je ne télécharge que des chansons, et quand j’aime beaucoup de chansons d’un même album je finis par l’acheter (cf. Avril Lavigne – et ne vous moquez pas, il fut un temps où écouter Avril Lavigne était moins une grosse honte). Viens ensuite une période frénétique, où je découvre que l’on peut télécharger tout un disque d’un coup sur Bittorrent, et Justin Timberlake en fait les frais (là j’assume sans problème - d’ailleurs, Justin, si tu nous lis, saches que je suis libre et que je veux bien t’épouser en échange d’un petit a cappella). J’achète toujours quelques CDs mais c’est très éparse puisque « il faut pas déconner, un disque c’est super cher maintenant, ils abusent » (c’est la Marine de 17 ans qui vous parle en direct live).

Entre ce moment-là et aujourd’hui, j’ai découvert qu’il y avait aussi des petits artistes qui se nourrissaient principalement de pates et qu’acheter leur disque peut être sympa. Voire même collector. On ne sait jamais, je tiens peut être l’album des futurs Beatles dans les mains et, un jour, on me proposera 150 000€ pour me le racheter. Je continue à télécharger Britney Spears, mais ce que j’aime et ce qui le mérite, je le paye (quitte à ce que ça soit de l’occasion s’il s’agit de quelque chose qui a déjà un certain succès – merci Boulinier, merci Gibert Joseph). Je mets aussi facilement la main au porte-monnaie devant un billet à la Maroquinerie ou un stand de merchandising. En somme, je suis un hybride entre la méchante pirateuse détestée par les maisons de disque et la potiche qui achète tout ce qu’elle voit sur le dos de laquelle ils peuvent capitaliser. Parce que ce que je n’ai pas encore précisé, c’est que j’ai acheté trois voire quatre fois plus de disques ces deux dernières années que durant les 19 premières de mon existence. Et ne parlons pas de l’argent dépensé en concerts, en badges (que je ne porte jamais, soit dit en passant) ou en posters (que je n’accroche jamais, soit dit en passant).

Et, comme je ne suis pas une fille fondamentalement extraordinaire, je ne pense pas être la seule. Je suis donc convaincue qu’il y a là un filon à exploiter pour l’industrie musicale.

En fait, selon moi, la vraie menace pour les majors se situe plutôt au niveau des (plus) jeunes, qui sont nés avec le piratage et sont totalement déculpabilisés. D’ailleurs, ils ne se souviennent même plus à quoi sert un CD, ce truc nul, gros, qui traîne partout, et qui prend du temps, puisqu’il faut importer voire convertir tous ses titres avant de les mettre sur son Ipod. Si je l’identifie comme principale menace, c’est parce que le jeune pose un double problème en termes de ventes : un manque à gagner aujourd’hui (il n’achète pas et les chiffres coulent), et un manque à gagner demain (il a été formé à télécharger et recouvrira progressivement les tranches d’âge qui achètent encore en vieillissant).
Mais, paradoxalement, ces mêmes jeunes sont une formidable cible commerciale, très forts sur les « achats d’impulsion » (un concept que l’on pourrait résumer par : « T’as vu ça ? Ca déchire ce truc ! Attends je le prends, c’est que 30 euros.»). En plus, on le voit avec les vêtements et la technologie, le jeune a de l’argent (de poche) et n’hésite pas à le dépenser.
En fait, le seul problème vis-à-vis de la musique, c’est que le jeune a beau être facilement influençable, il n’est pas totalement stupide et se refuse à payer ce qu’il peut obtenir gratuitement en ligne.

Il existe néanmoins peut être un moyen de détourner la question : l’identification sociale. Le jeune aime se situer dans un groupe et suivre la mode. Et, si j’ai blablaté pendant aussi longtemps, c’était uniquement pour en venir là : il faut faire du disque un objet de mode. Si posséder quatre étagères remplies de CDs devient le summum du cool, je suis prête à parier qu’il y aura plus de monde au Virgin.
Comment redorer l’image du disque ? De la com, de la com, et encore de la com. Et pas n’importe quoi, mais une com insidieuse et perfide, qui aille toucher les jeunes dans leur cœur : télévision (et pourquoi pas par le biais des séries), Internet, magazines, balancer du « le disque, c’est cool » partout jusque dans l’air ambiant. Et, surtout, en se basant sur des icônes, célèbres ou pas, mais glamours et enchanteresses, qui fassent rêver le jeune et l’incite à s’identifier.
Mon modèle, c’est le vinyle, qui a retrouvé ses lettres de noblesse grâce à l’incroyable influence de celles que j’appelle les « branchistas », c’est-à-dire les fashionistas de la branchitude. Elles oscillent entre le Régine et le Chacha, portent de la fourrure, du vintage, des bandeaux ; elles sont mannequins, actrices, rédactrices de magazines de mode ; elles se fournissent régulièrement chez Colette et APC. Ces filles, donc, on réussit à donner une seconde jeunesse à des reliques telles que les platines 33 tours, les polaroïds, ou encore les franges. Un phénomène qui pourrait sûrement se transposer aux jeunes et CDs. Je ne suis pas une déesse du marketing, mais il y a des professionnels payés très chers pour réussir ce genre de choses.

Pour devenir un objet mode, le disque devrait aussi faire valoir ses atouts : le CD ne se résume pas à la musique qui est gravée dessus, il y a aussi tout ce qui va avec. Le livret, le boitier, le format, les bonus, peuvent être travaillés pour transformer le disque en objet original et collector, que l’on a envie d’avoir. Ca se fait déjà un peu, avec les livrets photo (je me suis lancée le défi de ne pas citer Stuck in the Sound alors mon exemple sera Julien Clerc), du merchandising (des petits autocollants inclus), un graphisme soigné et une variation de la forme du support (j’ai vu des compilations au boitier en forme arrondie). Un peu comme pour les coffrets. Le « concept » est très à la mode : les « concepts » stores fleurissent partout, on mange de la « concept » food, et bien faisons aussi du concept CD. Evidemment, là où ça pêche, c’est que ça coûte plus cher à produire et à distribuer. Donc éventuellement plus cher à acheter. Mais, en même temps, si l’on est très fort sur la com, on peut emmener nos petits jeunes au bout du monde, comme nous le montrent certaines marques (onéreuses), qui s’en sortent très bien auprès de ce public. En plus, en temps de crise, le luxe est un marché refuge qui supporte plutôt mieux la morosité économique. C’est tout bénef, comme on dit. Certes, on a perverti l’âme de la jeunesse à des fins commerciales, mais ce n’est pas non plus une grande première.

Reste un dernier problème, qui nous cassera les pieds jusqu’au bout : la tendance à la dématérialisation de la musique. Une tendance lourde, vraiment lourde, mais très très très lourde, puisqu’on la retrouve même chez les professionnels, là où le son numérique remplace la guitare distillant ses douces notes analogiques.
C’est d’ailleurs en partie cette dématérialisation qui donne une illusion de gratuité : on n’a pas l’impression de voler quelque chose que l’on ne peut même pas toucher. Il y a aussi un très bel idéal derrière tout cela : celui de prendre un contenu, de le partager à l’infini, c’est socialement poétique, « - tiens, toi qui aimes bien ça, tu devrais écouter ça aussi, ça te plaira sûrement ; – oh merci, soyons amis».
Mais le mp3 est quand même beaucoup plus impersonnel et moins glamour que le disque. Surtout à offrir. Parce que ça pouvait encore passer quand on offrait un lecteur remplis de titres, mais maintenant que tout le monde a un lecteur, il ne nous reste plus que les titres à donner. La musique n’est plus un cadeau. Je ne vais pas acheter une dizaine de mp3 à mon frère pour son anniversaire. A quoi ça servirait ? Il les aurait probablement déjà téléchargées et ça ferait très cheap. Alors, là, le CD a encore de l’importance.
Et puis, quoi qu’on me dise, une discothèque Itunes de 10 000 titres ne sera jamais aussi belle qu’une montagne d’albums. Ni aussi décorative.

Tout se résume donc à ceci : CD collector vs dématérialisation de la musique.
Et, si la musique se dématérialise totalement, Hadopi, ça sera juste bon pour la poubelle. Parce qu’on ne pourra jamais convaincre toute une génération qu’il vaut mieux acheter sur un portail de téléchargement payant ce qu’il peut acquérir pour la modique somme de 0 euros sur du P2P.

Pascal, si tu veux m’embaucher, j’arrête infocom et je renonce à Londres pour relancer ta petite entreprise.


Julien est hype, Julien fait des éditions limitées avec livret photo.


Le coffret, c'est bien pensé.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Qui est pascal?

Marine a dit…

Pascal Nègre, le PDG d'Universal.

Anonyme a dit…

Hey mais tu sais que c'est pas du tout con ce que tu dis. C'est un truc sur lequel il faut réfléchir. Je me dis il faudrait peut etre carrement changer le reseau de distribution pour rendre le CD encore plus "rare" (je m'enflamme là, mon cerveau de marketeuse est en erruption).

Marine a dit…

Pascal devrait nous embaucher toutes les deux, on serait la dream team d'Universal!

Anonyme a dit…

j'y pense souvent aussi, le CD comme bel objet a certainement de l'avenir, mais il s'en vendra moins d'exemplaires de toute façon et sera donc un produit de luxe (qui demande la participation d'autres artistes dessinateur, graphiste, packager créatif, etc.)